New York Memories

En 1958 Edward Steichen découvre le travail de Clergue à Zurich lors de la toute première exposition du jeune photographe — au Kunstgewerbe Museum, où a lieu en même temps la légendaire exposition créée par Steichen, The Family of Man. Steichen lui achète neuf tirages pour la collection du Museum of Modern Art de New York dont il était directeur de photographie. En mai 1961, Steichen adresse une lettre à Clergue demandant sa participation à une exposition au MoMA prévu pour les mois de septembre et octobre de la même année. Il lui demande d’envoyer 150 à 200 tirages pour faire la sélection. Soixante-six images de Clergue seront exposées à côté des images du célèbre photographe anglais Bill Brandt et de l’américain Yasuhiro Ishimoto dans cette exposition montrée dans plusieurs villes des Etats Unis. C’est grâce à la générosité d’un mécène suisse que Clergue a pu faire ce voyage qui allait changer non seulement sa propre vie artistique et personnelle mais aussi le cours de la photographie en France… C’est Jacqueline et Pablo Picasso qui ont écrit le chèque permettant à Yolande, qui allait devenir sa femme, de l’accompagner, et c’est la découverte du toile Guernica de Picasso à côté d’une exposition permanente de photographies, qui lui inspirera sa démarche, deux ans plus tard, auprès du Musée Réattu à Arles, où, avec Jean-Maurice Rouquette, Conservateur des Musées d’Arles, il crée le premier département de photographie en France.

Empreintes des Dieux

« Le séjour new-yorkais fut l’occasion de rencontres incroyables, comme celle d’Eugène Smith et de Robert Frank… André Kertesz et Alexey Brodovitch… Au cours de la constitution de ce réseau, l’immensité des Etats-Unis…se transforme progressivement en une expérience visuelle qu’il va intégrer à son champ de création photographique…
Par l’amitié qui le liait à Ansel Adams, Lucien Clergue entra de plain-pied dans l’histoire photographique des paysages grandioses des parcs nationaux américains… Parmi les canyons et les falaises du parc Yosemite, Lucien Clergue déambule avec le même regard qui lui fit découvrir en Camargue le Langage des sables.
…un univers d’analogies pétrifiées : des formes animales et des masques anthropomorphes, des lèvres, des fesses…que l’on trouve rassemblée dans la série intitulée Empreintes des Dieux.
Selon le même principe de visée rapprochée, il photographie la route, autre sujet récurrent de l’esthétique nord-américaine. Les séries d’images consacrées à la route d’El Paso…sont constituées par des cadrages resserrés autour de lignes signalétiques et de signes aux allures d’idéogrammes formés par le débord sinueux du goudron sur l’asphalte. …elles semblent présenter un alphabet sibyllin délivrant un message purement visuel. Ces deux sujets, les grands espaces, la route, sont à proprement parler la contribution de Lucien Clergue à la photographie américaine dans la mesure où il réussit, en imposant son propre régime de visibilité, à bouleverser les codes à travers lesquels l’Amérique avait coutume des les regarder. »

Robert Pujade, 2011